A Aulnay, la victoire de M. Sarkozy vécue comme une “grosse claque”
May 9, 2007 @ 1:33 pm · Filed under Analyses
Une voiture ralentit et s’arrête devant le groupe d’une dizaine de jeunes adultes qui discutent, avec passion, des conséquences de l’élection de Nicolas Sarkozy. C’est le conseiller général PS, candidat aux législatives à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) : “Hé les gars, faut rester calme, hein ! Ils vont vouloir vous provoquer en face, ne répondez pas, faites leur un sourire“, leur lance Gérard Ségura en parlant des policiers et CRS massés 200 mètres plus loin. Il est 21 h 30, la présidentielle vient à peine de se terminer, et la campagne électorale suivante bat déjà son plein dans le quartier des “3000″.
Plus tôt, l’annonce de la victoire du candidat UMP avait provoqué quelques cris. Les enfants, dehors, avaient hurlé : “Sarkozy a gagné, il a gagné !” Le résultat ne faisait pas de doute aux yeux des adultes. Ni à l’échelle nationale, au vu des derniers sondages publiés, ni dans le quartier, du fait du plébiscite anti-Sarkozy dont avait bénéficié Ségolène Royal au premier tour, avec 66 % des voix dans le bureau de vote situé au cœur de la cité. Un score amplifié au second tour avec 86 % des suffrages.
Au pied des immeubles, la première réaction est la tristesse. Beaucoup ont regardé les résultats à la télévision et sont ensuite descendus pour discuter entre voisins. Un groupe d’une dizaine de jeunes adultes s’est formé devant un des bâtiments. Parmi eux, Djibril Traoré, 28 ans, commercial, s’interroge à voix haute sur ce que fera ou ne fera pas le nouveau président. Ce qu’il appelle la “politique du Kärcher” ne l’inquiète pas personnellement. “C’est pour mes petits frères que ça va être dur. Pour l’école, pour trouver du boulot.”
Dans le groupe, on plaisante volontiers sur les charters de “Noirs” et d’”Arabes” qui vont les ramener au “bled”. On rigole aussi en se représentant les cités du “9-3″ comme les villages “gaulois” qui résistent à “l’envahisseur Sarkozy”. On rigole mais on reconnaît aussi que la victoire de Nicolas Sarkozy est une “grosse claque” et que cela leur est douloureux.
Le débat est interrompu par le second passage du conseiller général. L’élu socialiste a fait le tour de la cité et vient, de nouveau, demander aux jeunes de rester calme. Il sort de son véhicule et serre des mains : “On a eu des infos disant qu’il allait y avoir des provocations, assure M. Ségura sans apporter plus de précisions. Faut pas tomber dans le piège : Royal a fait 17 000 voix dans la ville, ça veut dire qu’on peut gagner aux législatives puis aux municipales.”
Pendant que le candidat PS poursuit la discussion, une douzaine de policiers casqués, armés de flash-balls, matraques et bombes lacrymogènes, s’enfoncent, à une cinquantaine de mètres de là, dans une ruelle qui longe le centre commercial. Ils prennent ensuite position dans une galerie - à l’abri du lancer éventuel d’objets venant des tours - qui débouche sur la place où sont rassemblés, comme tous les soirs, une trentaine de jeunes et d’adultes. Le face-à-face se déroule pendant plusieurs minutes sans incident.
Jusqu’au moment où les policiers - qui ignorent qu’un journaliste et un photographe sont présents - se précipitent sur deux jeunes, les plaquent violemment au sol et distribuent des coups de matraques dans la foule. Ils effectuent aussi plusieurs tirs de flash-ball en direction des habitants qui s’éparpillent en courant. De tendue, la situation devient houleuse. Des jeunes lancent des pierres, des canettes et des bouts de bois sur les policiers, rapidement rejoints par plusieurs dizaines de CRS, dont certains avancent en tapant avec leurs matraques sur leurs boucliers pour faire du bruit.
Des adultes et des responsables associatifs tentent de s’interposer, mais sont repoussés sans ménagement par les forces de l’ordre. Arrivé entre-temps, le conseiller général demande aux fonctionnaires de police de faire preuve de retenue. Face aux habitants, il s’indigne : “Je savais qu’il y aurait des provocations pour faire monter la pression.” Les policiers pointent leurs flash-balls au niveau du visage de leurs interlocuteurs. “Un policier m’a mis son flash-ball à 20 centimètres du menton“, témoigne M. Ségura. Après plusieurs minutes de face-à-face, les forces de l’ordre regagnent leurs positions à l’entrée de la cité tandis que les deux jeunes interpellés sont amenés dans un véhicule de police.
Adultes et jeunes crient à la provocation. “C’était calme, il n’y avait rien, et d’un seul coup, ils se jettent sur deux types en les frappant“, se désole Bendiagou Diarra, 24 ans, témoin de la scène. Aux “3000″, une fois la colère passée, on veut y voir un premier indice de l’attitude future des forces de l’ordre avec M. Sarkozy comme chef de l’Etat. “C’est leur papa qui est devenu le président et ils prennent ça comme un feu vert pour faire ce qu’ils veulent“, poursuit M. Diarra. “Les flics se sentent pousser des ailes. C’est triste pour nous“, ajoute Rachid, 21 ans. Il regarde les cars de policiers positionnés un peu plus loin : “Le plus dur commence mais ça va nous pousser à aller voter en juin.”
(c) Article paru dans l’édition du 08.05.07 du journal Le Monde Luc Bronner
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